La nouvelle de l’existence de Halo DS a éclaté en 2007 : un journaliste du site IGN, Matt Casamassina, a révélé, preuves à l’appui, avoir joué à un prototype du jeu. Depuis, d’anciens développeurs ont témoigné, levant le voile sur les ambitions du projet, les coulisses de son approbation et les raisons de son annulation.
N-Space, un studio américain spécialisé dans les jeux vidéo, est à l’origine de ce projet atypique. Fin 2005, une petite équipe d’environ cinq développeurs chez N-Space se lance dans la création d’une démo de Halo sur la console portable de Nintendo. En l’espace de trois mois, début 2006, ils parviennent à produire un prototype jouable destiné à démontrer que l’univers Halo pouvait tourner sur la modeste Nintendo DS.
La genèse du projet est restée longtemps confidentielle. Ce n’est qu’en janvier 2007 que le public apprend son existence, lorsque Matt Casamassina révèle avoir joué à Halo DS. Dubitatifs au départ, les fans sont finalement convaincus quelques mois plus tard : à l’automne 2007, des séquences vidéo du prototype sont diffusées, attestant de l’authenticité du jeu en développement. À l’époque, l’identité du studio responsable restait floue. On comprenait toutefois qu’un acteur important était à l’œuvre en 2006, sans que Microsoft n’ait jamais officialisé le projet.
La décision d’envisager un Halo sur la console d’un concurrent pouvait paraître paradoxale. Microsoft, qui ne disposait pas de machine portable à l’époque, y voyait pourtant l’occasion de faire rayonner sa franchise phare auprès d’un nouveau public. Le succès phénoménal de la Nintendo DS, alors leader du marché du jeu vidéo portable, représentait un terrain attractif pour étendre la portée de Halo au-delà du cercle des joueurs sur Xbox.
Permettre à Halo d’exister sur DS était également une manière pour Microsoft de s’immiscer sur un segment où il était absent. La démarche n’était pas sans précédent : le géant de Redmond avait déjà autorisé certaines de ses licences à paraître sur les machines Nintendo. Par exemple, après son rachat par Microsoft, le studio Rare a continué de développer des titres sur Game Boy Advance puis sur DS. Un épisode de Halo sur la portable de Nintendo s’inscrivait donc dans une stratégie d’ouverture calculée, profitant de l’absence de rivalité directe entre Microsoft et Nintendo sur le marché des consoles portables.
L’objectif des développeurs chez N-Space était clair : adapter l’essence de Halo aux contraintes de la Nintendo DS sans trahir ce qui fait le sel de la série. Le prototype qu’ils ont réalisé reprenait la formule de gameplay de Halo : un jeu de tir à la première personne (FPS) nerveux, avec des armes futuristes, des véhicules à piloter et des aliens ennemis emblématiques.
Des journalistes ayant pu essayer la démo à l’époque ont comparé son gameplay à celui de Metroid Prime Hunters (un FPS déjà sorti sur DS), montrant que l’expérience restituait plutôt bien les sensations de Halo sur une console portable. Malgré les limites techniques de la DS, le contenu prévu se montrait ambitieux. Le prototype présentait une version jouable de Zanzibar, une célèbre carte multijoueur de Halo 2, ainsi qu’un niveau solo original conçu pour l’occasion. L’écran tactile servait à afficher l’interface (carte, radar et indicateurs) tandis que l’action en 3D se déroulait sur l’écran supérieur. Les armes iconiques comme le fusil d’assaut et le fusil à plasma étaient déjà fonctionnelles. Le joueur pouvait même manier deux armes à la fois et conduire le Warthog, le célèbre véhicule tout-terrain de la série. Des ennemis classiques tels que les Grunts (surnommés Grognards en français) et les Élites figuraient dans la démo, ces derniers armés de sabres énergétiques capables d’éliminer le joueur en un seul coup, comme dans les opus sur console de salon.
La partie multijoueur n’était pas en reste : l’équipe envisageait des affrontements jusqu’à six joueurs en local, voire un mode en ligne via la connexion Wi-Fi de la DS. Une telle configuration en aurait fait l’un des FPS portables les plus ambitieux de son temps. En somme, sur le papier, ce Halo version DS promettait une expérience étonnamment complète et fidèle à l’esprit de la franchise, et ce malgré le hardware modeste de la machine.
La démarche d’adapter Halo sur DS a d’abord obtenu le feu vert du côté de Microsoft. Séduits par le prototype, Microsoft et Bungie (le studio à l’origine de Halo) ont donné une approbation de principe au projet, impressionnés par la possibilité de faire tourner leur FPS phare sur la portable de Nintendo. Pendant un temps, Halo DS semblait donc sur la bonne voie : en interne, l’idée d’étendre la franchise sur DS était acceptée, et le développement n’attendait plus que l’aval du partenaire indispensable, Nintendo.
C’est à ce stade qu’est survenu le blocage. Contre toute attente, ce n’est pas Microsoft qui a fait marche arrière, mais Nintendo. La société japonaise, qui contrôlait l’écosystème de la DS, a finalement refusé de soutenir le jeu. Officiellement, Halo DS n’a jamais été annoncé et Nintendo n’a pas commenté l’affaire publiquement à l’époque.
En coulisses, plusieurs témoignages indiquent que Nintendo aurait rechigné à investir dans la promotion d’un titre issu de la concurrence. L’expérience mitigée de Geist – un FPS développé par N-Space sur GameCube en partenariat avec Nintendo, qui n’avait pas rencontré le succès escompté – aurait rendu Nintendo prudent. Échaudé, le constructeur n’aurait pas voulu allouer de budget marketing à un Halo portable, craignant un scénario similaire ou ne voyant tout simplement pas d’intérêt à mettre en avant la licence d’un rival sur sa propre machine. Le projet, presque validé quelques semaines plus tôt, a donc été abandonné du fait de ce veto de Nintendo.
Les développeurs impliqués chez N-Space gardent un souvenir amer de ce projet avorté, qu’ils estimaient pourtant sur la bonne voie. L’un des artistes ayant travaillé sur Halo DS confie que le jeu était « sur le point d’être validé » avant le revirement de Nintendo, décrivant la démo comme très aboutie et fidèle à l’univers original. D’après lui, l’équipe avait mis tout son savoir-faire pour que le jeu ressemble, sonne et se joue comme un véritable Halo, en dépit des limitations de la DS.
Bien que la Nintendo DS ne soit « pas la console idéale pour des FPS » de l’aveu même des concepteurs, le résultat s’annonçait divertissant et prometteur. Les retours internes étaient encourageants : la jouabilité rappelait les sensations de Halo, et les graphismes figuraient parmi ce qui se faisait de mieux sur la portable à l’époque. L’équipe était convaincue qu’avec son mode multijoueur innovant pour 2006, le jeu se serait vendu à des millions d’exemplaires si on lui avait donné sa chance.
Même les observateurs extérieurs furent surpris par le niveau de qualité du prototype. Matt Casamassina, qui a révélé l’existence du jeu, soulignait à l’époque que Halo DS « ne ressemblait pas à un projet de garage réalisé par deux personnes », mais bien à une production professionnelle portée par des développeurs aguerris. En clair, tous les voyants semblaient au vert du point de vue du développement avant l’arrêt brutal du projet.
La non-sortie de Halo DS a laissé place à de nombreuses spéculations sur ce qu’il aurait pu changer dans l’industrie. Si le jeu était sorti et avait rencontré le succès, Microsoft aurait pu renforcer sa présence dans le domaine portable sans même lancer son propre appareil. Un Halo victorieux sur DS aurait peut-être encouragé la firme de Redmond à renouveler l’expérience sur d’autres plateformes mobiles, ou à approfondir sa collaboration avec Nintendo. On peut imaginer qu’une telle réussite aurait rapproché plus tôt ces deux acteurs majeurs, ouvrant la voie à d’autres partenariats autrefois improbables.
Au lieu de cela, l’annulation de Halo DS a maintenu pour un temps la séparation stricte entre les écosystèmes Xbox et Nintendo. Microsoft a continué de réserver la saga Halo à ses consoles de salon et au PC, n’explorant le jeu mobile que bien plus tard via quelques spin-offs sur smartphones et tablettes. Du côté de Nintendo, il a fallu plus d’une décennie pour voir la moindre collaboration officielle avec la marque Xbox. Ce n’est qu’à la fin des années 2010 que de premiers clins d’œil sont apparus : l’arrivée de personnages issus de Microsoft (Banjo-Kazooie, Steve de Minecraft) dans Super Smash Bros. Ultimate, ou encore la publication de quelques jeux du catalogue Xbox sur Nintendo Switch.
L’histoire de Halo DS reste ainsi un « et si ? » célèbre parmi les projets inachevés du jeu vidéo, au même titre que d’autres tentatives de collaborations entre concurrents qui n’ont jamais abouti. On pense par exemple à la console commune avortée entre Nintendo et Sony dans les années 1990 (le fameux prototype de « Play Station »), ou à la réunion improbable de Mario et Sonic dans la série Mario & Sonic aux Jeux Olympiques – inimaginable du temps où Sega et Nintendo se livraient une guerre acharnée. De même, voir la mascotte de Sega, Sonic, débarquer sur une console Nintendo relevait autrefois de la fiction, avant que l’évolution du marché ne finisse par le concrétiser.
Aujourd’hui, avec le recul, Halo DS illustre à quel point les partenariats entre rivaux peuvent être complexes et fragiles. Ironie du sort, près de vingt ans plus tard, l’idée de voir Master Chief – le héros de Halo – sur une console Nintendo n’est plus tout à fait incongrue. Microsoft et Nintendo entretiennent désormais des relations cordiales, au point que des rumeurs récentes évoquent l’arrivée possible de la compilation Halo : The Master Chief Collection sur la future Switch 2. Si elle se concrétise un jour, cette sortie marquera enfin ce que Halo DS avait tenté d’initier : la rencontre de deux mondes autrefois rivaux, pour le plus grand plaisir des joueurs.
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